En 2019, Fabien Le Mouël nous avait livré d’émouvants « Fragments de femmes » sur la scène de La Contrescarpe. De sa plume attentive, il avait exploré les peines de cœur et de corps de ses amies et conçu un spectacle à trois voix en compagnie de François Rimbau. Cette année, ce jeune auteur sagace a décidé de se pencher sur la gente masculine. A travers une vaste galerie de portraits, il dévoile les pensées intimes de ses congénères et entraîne son public à s’interroger sur les notions de mâles et de maux.
Un homme aussi ça peut pleurer
Face aux scandales de MeToo, à la recrudescence des violences faites aux femmes ou, plus récemment, à l’interdiction de l’IVG dans certains états d’outre-Atlantique, revendiquer les fragilités et les angoisses des hommes peut sembler aujourd’hui dérisoire. Et pourtant, il faut l’admettre : ces messieurs ont aussi des failles, des inquiétudes et d’énormes pressions psychologiques. Derrière la force apparente et la fierté qu’ils arborent, beaucoup sont pétris de craintes impossibles à avouer face à une société qui déprécie et condamne radicalement toute faiblesse. C’est donc avec une certaine audace et une belle sollicitude que Fabien Le Mouël donne la parole à une trentaine d’hommes pour les laisser exprimer librement leurs doutes et leur « mâle-être ».
Un trio sensible et attendrissant
Afin d’interpréter cet éventail hétéroclite d’hommes fragmentés, Fabien Le Mouël a choisi de monter sur scène en compagnie de talentueux comédiens.
L’œil brillant, la mâchoire gourmande et la carrure athlétique, Florian Velasco est le « prototype » parfait du beau brun ténébreux. Jouant les sportifs, les escorts ou les octogénaires déçus par l’amour, il passe de la virilité à l’autodérision avec beaucoup d’humour et de justesse. Pourvu d’une diction franche et d’un charme évident, il séduit agréablement tous les publics quels que soient ses rôles.
A ses côtés, Harold Crouzet nous offre une interprétation plus incarnée. La mèche rebelle et la ligne élancée, ce langoureux comédien est habité par chacun de ses personnages. La voix suave et la gestuelle sensuelle, il interprète tour à tour l’homme blessé, l’homme violé ou celui qui cherche au contraire un plaisir rapide au fil des réseaux. Une très belle émotion se dégage de son jeu qui alterne entre force et lyrisme. On adore.
A la fois auteur et comédien, Fabien Le Mouël est plus a l’aise dans le registre de la mélancolie et de la narration pure. La peau laiteuse et le regard doux, il s’accapare des rôles d’hommes solitaires, des figures pudiques ou des âmes meurtries : entre un triste héroïnomane, un travesti désenchanté et une visite chez le psy, il joue la carte du sensible ou de l’excentrique et semble mettre à nu sa propre personne.
Une pièce qui touche à l’intime
Même si “Fragments de Femmes” semblait plus percutant, ce second opus touche plus à l’intime. Sans doute est-ce parce que Fabien se sent d’avantage impliqué en tant qu’homme et que ce ressenti déteint sur son jeu et son écriture. Qu’il s’agisse de contraintes conjugales, de célibat, d’abus sexuel ou de désir d’enfant, les confessions impudiques qu’il nous livre changent avec subtilité notre regard sur le mâle du XXIe siècle : en quittant la salle du Funambule Montmartre, votre tête raisonnera de tous ces monologues et vous vous direz qu’après tout, il n’est pas si facile d’être un homme à notre époque…
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr