La collection Pigozzi s’installe à Cannes
Durant tout l’été, la ville de Cannes présente une centaine d’œuvres sorties des incroyables réserves de Jean Pigozzi. Conçue depuis près de 30 ans sous l’égide d’André Magnin, cette collection réunie aujourd’hui plus de 10000 pièces d’art contemporain provenant du Congo, du Mali, du Sénégal ou du Bénin. Véritable ambassadeur de l’art africain, Jean Pigozzi va bientôt consacrer un musée permanent aux artistes de ce continent. Ce futur centre sera situé au cœur de Cannes, dans le quartier du Suquet. On l’attend avec impatience !
Pigozzi, un ambassadeur de l’art africain contemporain
Jean Pigozzi est un philanthrope de nationalité italienne qui a grandi en France. Sa rencontre avec l’art africain a eu lieu en 1989 lors de l’exposition « Magiciens de la terre » organisée par le Centre Pompidou. À dater de ce jour et depuis une trentaine d’années, il a demandé à l’expert André Magnin d’arpenter l’Afrique en quête de nouveaux peintres et artistes afin de pouvoir les mettre en avant sur la scène internationale. Au fil de ses acquisitions, Jean Pigozzi a ainsi réussi à constituer la plus importante collection d’art contemporain africain du monde.
Un musée d’art africain au cœur de Cannes ?
Un grand nombre de ses œuvres ont déjà été présentées à travers des expositions temporaires à la Fondation Cartier, au Smithsonian de Washington ou à la Fondation Vuitton. Poursuivant une démarche pédago-philanthropique, Jean Pigozzi a tout naturellement choisi de créer un musée à part entière afin de consacrer cette collection unique. Ce centre d’art devrait bientôt voir le jour au sein de l’ancienne chapelle Saint Roch du Suquet, dans le cœur historique de Cannes.
Un avant-goût du musée
En guise de préambule au futur musée et à cette incroyable donation, la gare maritime de Cannes expose jusqu’a fin août une sélection de 103 chefs-d’œuvres. Dans une mise en scène originale formée d’immenses caissons de bois, elle met en avant 27 artistes s’échelonnant des années 60 à nos jours.
Parmi les incontournables Moké, Chéri Samba, Bouabré et Seydou Keita, on croise aussi des artistes plus contemporains tels que JP Mika, Prince Gyasi, Sam Ilus ou Dolet Malalu en phase de devenir les « classiques » de demain.
Une collection engagée et pleine de cohérence
Malgré son éclectisme, la collection Pigozzi fait preuve d’une très belle cohésion artistique. Elle présente en majorité des peintures de grand format, des sculptures et de la photographie mais derrière chacune de ses œuvres surgissent toujours en filigrane une réflexion sociale ou une démarche politique à portée universelle: certaines pièces dénoncent les guerres civiles, le racisme ou la violence; d’autres s’engagent en faveur de l’Afrique ou de l’écologie. Toutes enfin revendiquent un art dynamique, souvent autodidacte, épris d’actualité, de liberté et apte à traverser les frontières.
Notre sélection
Jean-David Nkot
Né au Cameroun en 1989, Jean-David Nkot vit actuellement à Douala. Issu de plusieurs écoles d’art en France et en Afrique, il propose un travail pictural original qui analyse avec finesse et fantaisie les relations entre les peuples et les territoires. Son œuvre représente un peintre en bâtiment sur fond de carte du monde. Mêlant habilement peinture, encre et sérigraphie, elle fait trôner son modèle avec fierté et confère à ce petit métier une nouvelle dignité.
Aboudia
Natif de la Côte d’Ivoire, le peintre Aboudia travaille aujourd’hui entre Abidjan et Brooklyn. Présent à la dernière foire d’art africain contemporain (AKAA 2021), il a vu deux de ses toiles s’envoler à plus de 50000€ sous le marteau de la Maison Bonhams. Pour cet accrochage cannois, Aboudia propose une oeuvre récente de 2021. Entre art brut et primitif, elle met en scène un corps gisant aux tonalités sanguines entouré de sombres visages semblables à des crânes. À travers cette composition macabre faite d’acrylique, de graffitis et de collages, on songe au cadavre d’un enfant entouré de bandes dessinées et de petites voitures et l’on comprend à quel point Aboudia a pu être marqué par la guerre civile ivoirienne de 2010
Dolet Malalu
Issu des Beaux Arts de Kinshasa, ce jeune artiste congolais a déjà partagé son travail avec Dominique Zingpe autour du projet « Scénographie urbaine de Kinshasa ». Dolet Malalu utilise des médiums aussi variés que l’acrylique, le pastel ou le papier mâché et propose un art singulier dénué de tout académisme où le graffiti côtoie le figuratif.
À travers sa toile « L’intégration sociale » on devine son attrait pour la SAPE (La société des ambianceurs et des personnes élégantes) mais aussi de subtiles allusions à la religion chrétienne, aux traditions tribales et à la musique jazz . Caricaturés à l’extrême, ses trois personnages déclinent en effet des attributs propices à toutes les interprétations : entre un dandy à visage primitif, un martyr rose portant la couronne d’épines du Christ et un homme chapeauté au regard inexistant, on s’interroge sur les influences de Dolet Malalu et l’on savoure son énergie
Abu Bakarr Mansaray
Le travail de Abu Bakarr Mansaray est très original. Présenté à la Cité des sciences et de l’industrie en 2022 et à l’exposition « Les Initiés » de la Fondation Vuitton, cet artiste de Sierra Leone est aussi inventif que précis et créé des œuvres qui nous font songer à une version utopique des planches encyclopédiques de Diderot et d’Alembert.
Superposant toutes sortes de schémas, de légendes et de rouages, il propose des machines imaginaires mettant en avant son intérêt pour les sciences et la mécanique. Marqué par l’extractivisme forcené des mines de diamants du Tongo et la guerre civile de Sierra Leone de 1991, cet autodidacte tente bel et bien de conjurer par le biais de son œuvre la folie destructrice des hommes.
Nandipha Mntambo
Nandipha Mntambo est l’une des 4 femmes artistes de l’exposition. Aux côtés des sculptures de Seyni Awa Camara, des œuvres à l’acrylique d’Esther Mahlangu et des séries photographiques de Nobukho Nqaba, elle présente une création numérique où elle se met en scène en toréador. À travers cette vidéo de deux minutes trente, cette jeune artiste du Swaziland détourne avec grâce et caractère les critères de l’iconographie virile. Adepte de la photo, de la sculpture et des Arts visuels, Nandipha Mntambo aime interroger son public sur l’identité de genre et invite ainsi chaque visiteur à repenser la perception de son propre corps.