Tesprit et les Dzimakplao du Togo
Tesprit (de son vrai nom Foli Kossi Gérard Tete) est un jeune artiste togolais. Pluridisciplinaire, il a la particularité de travailler avec des semelles de tongs usées qu’il taille et découpe pour créer de grandes toiles figuratives à l’esthétique surprenante. Une démarche responsable et originale qui dénonce de surcroît les conditions de vie des enfants des rues de Lomé.
Rencontre avec un être talentueux et pétri de compassion.
Florence Gopikian-Yérémian : L’ensemble de vos tableaux sont réalisés à partir de semelles usagées, est-ce une démarche récente ?
Tesprit : Assez. À mes débuts, je travaillais essentiellement à l’huile ou à l’acrylique mais avec la crise du Covid je n’ai plus eu les moyens d’acheter de la peinture ou même des pinceaux. Il a donc fallu que je me réinvente et, depuis trois ans, j’ai naturellement dérivé vers une approche écoresponsable de mes œuvres. Dans le sud du Togo, il y a d’immenses décharges laissées à l’abandon. J’y récupère chaque semaine de vieilles tongs et toutes sortes de sandales de caoutchouc que je recycle dans un but créatif.
Vos nouvelles compositions mettent en scène uniquement des enfants, qui sont-ils ?
Mes tableaux sont des hommages aux « Dzimakplao» que je croise chaque jour. Dans le sud du Togo, ce terme signifie « enfants sans éducation » et par extension il désigne les tongs ! La plupart des gamins qui vivent dans les rues de Lomé traînent sur les décharges pour y trouver des boites de conserve ou du cuivre à revendre afin de se nourrir. Lorsque je vais chercher mes semelles, je les prends régulièrement en photo et une fois rentré chez moi je m’applique à les immortaliser sur mes toiles. C’est une façon personnelle de raconter leurs histoires et de dénoncer ainsi la précarité de leurs existences.
Votre nouvelle série se nomme « Chemin de croix », prône t-elle une quelconque revendication religieuse ?
Pas du tout. Je ne suis pas chrétien, je suis profondément animiste et, par ailleurs, ma mère est une prêtresse vaudou. Les croix que je peins n’ont pas de portée religieuse. Elles sont purement symboliques et font allusion à la pénibilité du chemin christique qui selon moi se rapproche de la marche quotidienne de ces enfants des rues. Parallèlement, la croix est aussi un signe qui clame l’arrêt. C’est donc une revendication pour que ce calvaire s’arrête et qu’une vie meilleure s’ouvre à ces Dzimakplao. À l’exemple de la tong recyclée qui se transforme et entame une nouvelle existence, ces enfants doivent trouver une nouvelle voie.
Pour quelle raison les avez-vous représentés sans visage ?
Sur ma série précédente, je cherchais à capter les différentes postures et les poses habituelles de ces enfants. Avec ce « Chemin de croix », j’ai voulu explorer leurs émotions et leurs pensées tout en les maintenant dans un anonymat volontaire. À mes yeux, l’absence de visage universalise mon propos : cela permet, en effet, aux spectateurs de se projeter au sein de mes compositions et de prendre la place de ces innocents, ne serait-ce que l’espace d’un instant, pour capter la dureté de leur condition.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr