Regard sur l’Arménie à la Galerie Wilde
Durant tout le mois de décembre la galerie Wilde présente le travail photographique de Lydia Kasparian : un regard puissant et lucide sur l’Arménie d’aujourd’hui qui n’a de cesse de se faire attaquer dans la plus grande indifférence internationale.
Avec autant de passion que de dextérité, l’artiste met en avant le patrimoine de ce premier pays chrétien où la beauté des églises et des paysages reflète magnifiquement l’âme et la ferveur de ce peuple meurtri.
Interview Syma News
Florence Gopikian Yérémian : Comment est né ce projet photographique autour de l’Arménie ? Qu’avez-vous cherché à restituer ?
Lydia Kasparian : Face aux attaques incessantes que traverse l’Arménie depuis des années et surtout face au contexte géopolitique actuel favorable à l’Azerbaïdjan et aux velléités de panturquisme d’Erdogan, j’ai pensé que le moment était propice pour exposer au plus grand nombre la beauté du patrimoine arménien.
Celui-ci ne se résume pas à ses églises ancestrales et ses sublimes complexes architecturaux, il repose également sur son histoire chrétienne, ses traditions et son patrimoine humain. Cette exposition de photos se veut une pierre au rempart que nous devons édifier afin de protéger l’Arménie.
C’est un projet familial ? Un besoin de renouer avec vos racines ?
À la fois familial et engagé car il découle d’un voyage fait dans des circonstances particulières: j’ai découvert l’Arménie pour la première fois fin 2020 : en pleine guerre contre l’Azerbaïdjan, en plein hiver et en plein Covid. Lors de ce périple inoubliable avec mon fils Norvan de 10 ans et mon père Roger de 83 ans, nous avons rencontré des hommes et des femmes meurtris, endeuillés et sous le choc d’une terrible défaite. Ce qui m’a le plus frappé au coeur de ce drame, c’est la grande dignité de la population, la profondeur de leurs regards et la ferveur céleste de leurs prières au sein de leurs sublimes monastères.
Avec beaucoup de difficultés, vous avez traversé le corridor de Latchin et réussi à vous rendre dans la région du Haut-Karabakh. Quel a été votre sentiment en entrant en Artsakh ?
L’Artsakh est une région magnifique qui donne au visiteur l’aspect d’un pays paisible et accueillant. Stepanakert est une capitale moderne et élégante avec une activité artistique intense. Cette ville a malheureusement subi les désastreux effets de la guerre qui s’est tenue en automne 2020 : aux coeurs des cimetières et aux côtés des bâtiments civils détruits par les Azéris, l’on peut voir des milliers de portraits et de drapeaux qui fleurissent les tombes des soldats morts durant le conflit. Ces jeunes étaient à peine sortis de l’adolescence et toute leur génération a été sacrifiée ! Il me fallait témoigner de la souffrance de cette république qui demeure encore aujourd’hui en très grave danger.
Parallèlement à vos photos de paysages, vous excellez dans l’art du portrait. Comment réagissent les gens quand vous les photographiez de si près ? Est-ce qu’un accord tacite se crée entre vous ? Un échange cordial ? Une amitié ?
J’ai l’habitude de voyager en toute liberté : je loue une voiture et je vais où bon me semble. Cette approche m’entraine souvent dans des endroits bien loin des chemins battus mais c’est celà justement qui me permet de rencontrer des profils très différents qui vont du vieux berger à la ministre de la culture en passant par des écoliers ou de grands scientifiques.
Cette diversité humaine est une richesse et elle est passionnante à mes yeux. Quand je prends les gens en photo, j’aime les écouter. Je ne les fais pas poser pour mon objectif, je les saisis au fil de notre conversation. Tandis qu’ils partagent avec moi quelques instants de leur vie, j’essaie de capter l’instant, l’échange, le hasard et la beauté qui émanent de cette rencontre.
L’Arménie est elle aussi accueillante qu’on le clame ?
L’Arménie est d’une hospitalité exceptionnelle: qu’il s’agisse de la capitale ou du plus petit village perdu dans la montagne, on y est accueilli avec une convivialité et une gentillesse impressionnante. Quel que soit l’hôte, tous sont prêts à partager leur “hatz” c’est à dire leur “pain”. Je pense qu’il n’y a pas eu une seule rencontre sans que l’on m’ait proposé de partager un petit café. Il s’avère que ce café se transforme toujours en un véritable festin improvisé avec des gâteaux, du pain, des fromages, du miel ou des fruits secs !
Lors de mon voyage à Goshavank avec mon fils et mon père, je me rappelle avoir rencontré le prêtre Taddeus au sein de sa belle église. C’était une fin de journée hivernale et il nous a proposé humblement de venir boire un café chez lui. Il a passé un simple coup de fil à son épouse et quand nous sommes arrivés chez eux quelques instants plus tard, un dîner majestueux nous attendait ! Les femmes arméniennes sont de véritables fées!
De quelles régions sont originaires vos grands-parents ?
Ma lignée paternelle descend du côté turc de l’Arménie : ils viennent précisément de Samsun et d’Erzurum. Je tiens à préciser que mon grand-père qui est un rescapé miraculé du génocide était lui aussi photographe ! C’est un métier qui coule de génération en génération dans les veines de la famille Kasparian. D’ailleurs mon fils, Norvan est en train de prendre le relais !
Votre père Roger Kasparian est un photographe de renom.
Effectivement, il a photographié toutes les grandes stars de la chanson et du cinema dans les années 60 et compte déja à son actif des dizaines d’expositions ainsi qu’un film réalisé par Philippe Manoeuvre !
Avez-vous un cliché favori parmi vos photos exposées à la Galerie Wilde ?
J’en ai deux !
Le premier représente un petit monastère (Aghavnavank) de la région de Dilijan que j’ai découvert tout à fait par hasard après avoir marché longtemps sous la neige dans une forêt déserte. Mon père et mon fils étaient malades du Covid ce jour là et ils avaient préféré rester dans la voiture. J’étais aussi malade mais de rage parce que deux policiers arméniens venaient de m’effacer des photos de mon appareil prétextant que j’étais dans une zone « sensible » interdite à toute prise de vue. Il n’y a rien de plus terrible pour un photographe que de se faire effacer ses clichés ! Pour calmer ma rage, « Astfatz » (« Dieu », en arménien) a du mettre sur mon chemin ce merveilleux monastère : alors que je pestais les pieds dans la neige, je me suis soudain retrouvée face à une pépite architecturale tout droit sortie du fond des temps. Seule dans le silence froid et hivernal de la foret, j’ai eu l’impression d’avoir une vision: un monastère isolé du monde et auréolé de pureté. C’était juste magique !
La deuxième photo que je préfère est celle du prêtre de l’église Sourp Arkazi Sourp Khatch. Ce saint homme, entièrement dévoué à Dieu, m’a émue non seulement par la beauté de son accueil mais aussi par l’histoire fabuleuse qu’il m’a racontée : au sein des murs de son église se trouve un morceau de la Sainte Croix du Christ ! Peu de pèlerins ont eu le privilège de poser le pied en des lieux aussi célestes et d’y être reçus comme des rois mages !
Vous faites de la photo depuis plus de 30 ans et avez parcouru des dizaines de pays avec votre Nikon en bandoulière, envisagez vous une prochaine exposition ?
Oui, je souhaiterais faire une exposition sur les arméniens et les chrétiens du Moyen Orient. Avant qu’il ne soit trop tard…
Lydia Kasparian souhaite remercier la Fondation Aznavour, la société Petrossian, Alain Marcerou de la société Euro-Cadres, Monsieur Nigoghossian de Harry traiteur Paris, l’imprimerie Roques de Monsieur Kherbekian ainsi que les frères Florent et Laurent Mabilat de la Galerie Wilde.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Avant que ça arrive
Expo Photo Lydia Kasparian
Galerie Wilde
4/8 rue François Miron – Paris 4e
Du 8 au 31 décembre 2022
Mardi 13 décembre à 20h : conférence -débat sur l’histoire de l’Arménie en présence de Claire Mouradian, chercheuse au CNRS
Jeudi 22 décembre à 20h30 : concert de musique traditionnelle arménienne avec l’ensemble Yerevan (Doudouk, zourna, chevi)
Pour toutes informations : 0661130806 – kasparianlydia@hotmail.fr