Les créations métamorphiques de Pascal Lemoine, maître verrier
Les œuvres de Pascal Lemoine intriguent par leur aspect craquelé et métamorphique. À mi-chemin entre la céramique et le verre soufflé, elles nous font songer à d’antiques planètes où la lave en fusion côtoie la terre asséchée. Pour les mettre en forme, Pascal Lemoine est allé chercher un savoir-faire ancestral qu’il a su conjuguer avec son souffle puissant et son imaginaire. Il en découle un travail bachelardien et poétique qui porte en soi une très belle réflexion sur la genèse de l’homme et son rapport immuable aux éléments.
Rencontre avec un souffleur de verre aussi talentueux que spirituel :
Florence Gopikian Yérémian : Vous avez une technique énigmatique, comment procédez-vous pour réaliser vos œuvres ?
Pascal Lemoine : Ce qui est intéressant à mes yeux ce n’est pas tellement le « Comment » mais plutôt le « Pourquoi ». Mon travail éveille des imaginaires et des histoires qui varient selon le ressenti de chacun. Je suis personnellement issu d’un univers un peu bachelardien qui évolue entre la poétique de l’eau, du feu, de la terre et de l’air. C’est cela que j’essaye d’exprimer à travers chacune de mes pièces car ce sont des concepts qui touchent l’humanité entière.
Vous êtes très à l’écoute des éléments
En effet, il y a quelque chose avec les éléments et particulièrement avec le feu qui nous relient tous. J’ai mis vingt ans à le comprendre et c’est cela qui me tient le plus à cœur dans mes créations. Lorsqu’on lit le dernier ouvrage de Gaston Bachelard (La flamme d’une chandelle), on comprend à quel point les hommes sont semblables face à un feu : par-delà les cultures, les régions ou les cultes, les flammes nous happent. C’est cette magie poétique et immuable que j’essaye de saisir en soufflant le verre : c’est matériau qui nous révèle cette histoire-là et bien d’autres.
Peut-on dire que votre travail du verre est un reflet de votre imaginaire et de vos convictions ?
Tout à fait. Dans ma jeunesse, lorsque j’étais objecteur de conscience, j’ai découvert André Breton. Je suis tombé amoureux des poètes surréalistes parce qu’ils mettaient en lumière l’absurdité du monde. Cette absurdité me dérangeait alors énormément, mais eux la transformaient pour en faire quelque chose de magnifique. Les surréalistes m’ont fait comprendre qu’à travers l’art et l’imagination, chacun à sa manière pouvait devenir le maitre du monde : même emprisonné, l’homme est capable de recréer un univers grâce à son esprit !
Dans les textes de Breton, le matériau verre revenait souvent et de manière ambigüe : à titre d’exemple, dans son poème « L’union libre », il évoque une femme en verre brisé dans lequel on vient boire. J’aime ce matériau car il est porteur de légendes et peut à la fois être sensuel ou coupant, présent ou absent, visible ou invisible. Nous nous sommes d’ailleurs tous pris une vitre dans la figure, que ce soit de manière concrète ou symbolique.
Vos premières œuvres étaient… des urnes funéraires. C’est assez singulier.
Oui. À mes débuts, il y a vingt-cinq ans, je faisais effectivement des urnes funéraires sur lesquelles j’écrivais alternativement des palimpsestes d’André Breton et des textes à moi. Sur certaines, je gravais aussi des textes en braille pour inciter les non-voyants à aller les chercher. J’avais une démarche presque métaphysique car ces œuvres me proposaient un cheminement sur la vie et la mort autant qu’un questionnement sur le temps qui reste et ce que l’on doit en faire. Face à la grande énigme de l’existence et à l’absurdité du monde, je m’étais à l’époque construit une rude carapace qui s’est petit à petit brisée. À l’exemple de mon corps et de mon esprit, mes œuvres se sont, elles aussi, progressivement érodées et fissurées.
Quel a été votre parcours professionnel ?
J’ai fait ma formation de verrier au CERFAV (Centre Européen de Recherche et de Formation aux Arts Verriers) à Vannes-le-Châtel. Ensuite, je suis parti vivre en Suède pour travailler au sein de l’atelier de Katarina Löfstrom car j’aime beaucoup le verre scandinave. J’y ai d’ailleurs fait une résidence 17 ans plus tard, où j’ai conçu des pièces à travers lesquelles je transposais mes souvenirs et mon ressenti du monde viking : j’y parlais des flaques qui gelaient et dégelaient au printemps, mais aussi des pierres de Varberg qui jaunissent en bord de mer. En fait, mes œuvres reflètent en permanence ma vie, mes voyages, mes émotions et mes histoires, c’est pour cela qu’il a une réelle cohérence dans l’ensemble de mon travail.
Comment procédez-vous pour allier terre et verre dans vos créations ?
C’est un travail de verre soufflé et émaillé à chaud : pendant le processus de soufflage, les différents émaux que je pose vont réagir les uns avec les autres suivant leur composition. Au fur et à mesure que le noyau de verre va s’étendre, les craquelures de l’émail vont s’amplifier. Mes grandes pièces sont ensuite trempées dans l’eau très brièvement.
En ce qui concerne les pièces de terre comme les porcelaines, je modifie le point de fusion, je projette l’émail liquide sur le verre très chaud qui se recouvre de dégoulinures. J’aime ce monde du chaos où la croute se craquèle de façon complètement aléatoire en fonction des chocs thermiques.
Durant le temps du soufflage, mes pièces sont complètement opacifiées. Quand elles refroidissent, je procède au sablage pour éroder la surface et retrouver la translucidité. Je crée ainsi les ouvertures, les reliefs et, bien sûr, les failles.
Vous parlez souvent de faille ou de brisure. C’est une notion importante dans votre processus créatif ?
Absolument. Avant de faire du verre, j’ai été éducateur avec des enfants souffrant de troubles du comportement. Par la suite, j’ai aussi animé des chantiers d’insertion en transmettant mon métier de souffleur de verre. Je sens en effet un lien direct entre la manipulation du verre, ce qu’il peut traduire de mon être et la transmission que je peux en faire auprès de personnes en difficulté. Ce matériau a quelque chose de magique car il est à la fois poétique et très difficile à travailler. En soufflant le verre, on peut obtenir une œuvre d’une délicatesse infinie et pourtant il faut presque aller au combat pour la faire naître car on doit confronter la chaleur du feu quitte à s’y bruler ! Le verre est vraiment magnifique mais je vous garantis que c’est un matériau qui se mérite.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
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Résonance(s)
Salon Européen des Métiers d’Art
10 au 13 novembre 2023
Nouveau Parc des Expositions de Strasbourg
Pour découvrir le travail de Pascal Lemoine : RDV sur son site
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