Le souffle de l’Architecte : Bijoy Jain et le Studio Mumbai
La plupart des expositions de la Fondation Cartier ont la particularité d’immerger entièrement les spectateurs dans l’univers d’un artiste en créant un cheminement physique, voire un éveil des sens à travers des œuvres réalisées in situ : les architectures oniriques de Junya Ishigami nous avaient ainsi plongés dans un monde d’épure, les cerisiers de Damien Hirst diffusaient l’atmosphère douce et acidulée des arbres en fleurs du Japon, quant aux sculptures hyper réalistes de Ron Mueck, elles nous transportaient sur de sombres rivages questionnant silencieusement les aléas de la vie et de la mort.
La puissance de ces rétrospectives repose, de toute évidence, sur la qualité des artistes choisis mais également sur l’ingénieux bâtiment décloisonné de Jean Nouvel dont les murs de verre, l’absence de cimaises et les immenses salles lumineuses permettent non seulement une synergie avec les œuvres mais aussi avec le ciel et les jardins extérieurs de la Fondation.
Une exposition en osmose avec la nature
Avec sa nouvelle exposition consacrée à Bijoy Jain, la fusion de tous ces éléments est encore plus présente car l’architecte indien a souhaité créer un parcours où le spectateur promeneur déambule dans un monde d’art total en osmose avec les éléments de la nature.
Les compositions réalisées par les artisans de Studio Mumbai se déploient donc sur tous les niveaux de la Fondation et en extérieur, en étant conçues comme un questionnement dans notre rapport au monde mais surtout comme une expérience émotionnelle destinée à susciter un sentiment de quiétude.
Une sensation de sacré
Il en va ainsi de la structure architecturale Prima Materia en bambou et ficelle de soie qui nous donne l’impression d’entrer dans une sorte de temple silencieux où se mêlent des influences indiennes et japonaises.
Cette dimension sacrée et propice à la méditation se retrouve aussi au fil des autres espaces comme à travers un bassin aquatique destiné à des libations religieuses ou via un amas de pierres brutes disposées à même le sol qui nous fait songer à un jardin zen.
Entre des gargouilles évoquant les églises médiévales et des tazias indiens issus de processions musulmanes, Bijoy Jain explore et mêle allègrement les continents, les époques et les religions faisant de son exposition un véritable lieu d’échange.
Fragments d’architecture
Parallèlement à cette démarche multiculturelle, Bijoy Jain met en avant le travail de plusieurs artisans de Studio Mumbai tels que des potiers, des ébénistes ou des sculpteurs qui rendent hommage à des matériaux naturels comme le bois, la chaux, la pierre mais aussi le rouge de cochenille, la bouse de vache ou l’argile.
Il en va ainsi d’Alev Ebüzziya Siesbye dont les fines céramiques blanches et bleues brodent un dialogue entre équilibre et sensualité.
Disposées sur des tables de briques miniatures cuites à la main, ces vases et ces assemblages aux tonalités ocres nous transportent au cœur d’anciens palais d’Anatolie ou de Mésopotamie.
De son côté, la dessinatrice chinoise Hu Liu propose de très beaux panneaux monochromes aux teintes sombres et métalliques. Entièrement réalisées au crayon graphite, ses œuvres déclinent avec autant de mystère que de dextérité le ressac des vagues ou le mouvement de branches d’arbres.
Le mobilier de l’exposition destiné au public a également été repensé par Bijoy Jain. Prenez donc le temps d’admirer le travail des chaises en soie, bambou ou pierre avant de vous assoir pour contempler le reste.
Si, de prime abord, l’exposition peut sembler chaotique et décousue à cause de la pluralité des œuvres qui s’éparpillent sans fil directeur, n’hésitez surtout pas à discuter avec les jeunes médiateurs de la Fondation Cartier : si le souffle sacré de Bijoy Jain et de ses artisans n’a pas su vous saisir, ils vous ouvriront les yeux et l’esprit.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Le Souffle de l’Architecte
Un exposition de Bijoy Jain et du Studio Mumbai
Avec les artistes Hu Liu et Alev Ebüzziya Siesbye
Fondation Cartier pour l’Art Contemporain
Boulevard Raspail – Paris XIVe
Jusqu’au 21 avril 2024
Photos : ©Florence Gopikian Yérémian