Jeanne Hébuterne vole ses pinceaux à Modigliani
Parmi toutes les œuvres présentées à la nouvelle édition d’Art Paris, il en est une exceptionnelle : un autoportrait de Jeanne Hébuterne, la célèbre muse de Modigliani. Dissimulée comme une précieuse relique, cette toile se trouve sur le stand de la Richard Taittinger Gallery entre une délicate maternité de Fujita et un nu à la mine de plomb d’Amedeo. Surtout ne ratez pas ce beau portrait car il est très rare de voir exposée une huile peinte par la main de Jeanne.
Lorsque l’on se retrouve face à cette toile, on pense instinctivement que c’est une œuvre de Modigliani. Il faut dire que l’artiste n’a cessé de peintre sa compagne, Jeanne, et qu’il nous a laissé des dizaines de tableaux à son effigie.
Pourtant, ne vous en déplaise, c’est la muse cette fois qui tient la palette ! La belle demoiselle s’est croquée elle-même à l’aube de ses vingt ans, certainement au sein de l’atelier qu’elle partageait avec son amant.
En regardant son visage en mandorle, ses yeux sans pupilles et son cou qui s’étire comme la Madone de Parmigianino, on pense immédiatement à la maniera de Modigliani : le style est le même, autant que la gamme chromatique ou la touche qui fouille de façon intrinsèque les arcanes de Jeanne. A l’exemple des œuvres qui la représentent habituellement, elle a su capter elle aussi sa propre fragilité silencieuse, son regard trouble et sa délicatesse.
Peu de personnes savent que la jeune femme ne se contentait pas de poser pour les peintres de Montparnasse. Elle jouait du pinceau de son côté et était même élève à l’Académie Colarossi, communément appelée La Grande Chaumière. C’est d’ailleurs au sein de ce lieu mythique que Jeanne a rencontré Amedeo Modigliani et que leur histoire d’amour si tragique a commencé.
Si l’on en croit les dires, près d’une centaine d’œuvres attribuées à Jeanne Hébuterne ont traversé le siècle. Parmi elles se trouvent des esquisses, beaucoup de dessins, des carnets, ainsi que quelques huiles dont neuf ont été découvertes en 2002, dans l’atelier parisien de son frère André Hébuterne, qui était lui-même peintre paysagiste.
La toile exposée sur le stand de la Galerie Richard Taittinger est donc un exemple très rare allouée à la main de Jeanne. Réalisée vers 1917, cette huile provient précisément de la collection privée de son frère André et elle a été achetée 190000€ en juillet 2020 par un collectionneur suisse (Vente à Drouot de la maison Million & Associés). L’œuvre a été montrée par la suite au Musée Pouchkine de Moscou lors de l’exposition Les Muses de Montparnasse (de juillet à octobre 2021) et elle est aujourd’hui proposée au Salon Art Paris à 290000€.
En mettant en avant cette artiste quasiment inconnue, la Richard Taittinger Gallery permet de lever le voile que jetait sur elle la figure majestueuse mais si imposante d’Amedeo Modigliani.
A l’exemple de Camille Claudel face à Rodin, Jeanne Hébuterne fait partie de ces femmes qui durent se construire à l’ombre de leurs amants. De toute évidence, sa beauté et sa personnalité ont inspiré Modigliani mais cette jeune modèle n’a-t-elle pas eu un rôle plus important que celui de muse ?
Lorsque l’on s’attarde sur son autoportrait, on finit par se demander si Jeanne n’a pas également influencé Amadeo dans sa façon de peindre. Leur amour était si fusionnel, qu’avant de les mener ensemble dans la tombe, il a pu engendrer un travail osmotique…
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
.
Art Paris
Richard Taittinger Gallery – Stand C3
Du 4 au 7 avril 2024
Grand Palais Éphémère
Champ-de-Mars
Nos articles sur les précédentes éditions d’ART PARIS :