Le TOP Museum, musée de la photographie de Tokyo, organise en ce moment une grande exposition de photographies et autres médias visant à nous replonger dans l’histoire de l’archipel et du monde. De 1924 à 2024, on mesure le chemin parcouru par l’homme en un siècle de profonde accélération.
Situé dans la chic zone pavée de Ebisu, le TOP Museum est accessible facilement depuis la station du même nom. Relativement récent car fondé en 1995, son design avant-gardiste en fait un sujet de choix pour les photographes eux-mêmes.
Pour les amateurs d’histoire, Jikan Ryoko comporte une extensive première partie consacrée à l’entre-deux-guerres. Ce cliché pris à Ueno en 1936 par Kineo Kuwabara montre une ville qui se modernise rapidement : l’automobile rejoint le tram sur cette photo qui aurait pu être prise dans n’importe quelle capitale européenne ou à New York, à ceci près que les kimonos s’assortissent encore aux canotiers et autres chapeaux Fedora.
Un an plus tard, Asakusa apparaît même totalement américanisé sur cette photographie sensationnelle du même auteur, où des enfants dans une poussette regardent avec intérêt Mickey ainsi que la dernière affiche hollywoodienne. Beaucoup situent la “mue” du Japon en société occidentale vers les années 50, mais cela a commencé bien avant.
Toujours à Asakusa par le même photographe, cette véritable forêt de publicités impressionne et montre combien le Japon est lancé dès 1920-1930 dans une course à l’économie avec l’occident.
De publicité, il est largement question dans Jikan Ryoko qui montre dans sa sélection de nombreuses affiches promotionelles d’époque. Celle-ci fut diffusée en 1927 pour l’ouverture du métro entre Asakusa et Ueno, le seul d’Asie en ce temps-là. On remarque que le dessin insiste particulièrement sur la densité de la foule, comme pour se vanter de l’échelle considérable du projet.
Bien sûr l’exposition n’en oublie pas la photographie plus stylistique. En plus des quelques natures mortes, on trouve des clichés aux angles et aux jeux de lumière très recherchés, comme cette épreuve intitulée “Caractère du Grand Tokyo” de Masao Horino dont les néons foisonnant plonge le visiteur dans un ambiance de film noir.
Le Asahi Graph, premier magazine photo asiatique, témoigne de l’essor de la photographie en tant qu’art dès la fin des années 1920. La modernité et les codes occidentaux sont largement mis en avant. De nombreuses couvertures du magazine à travers les années sont présentes dans les vitrines de l’exposition, comme autant de mémoires inestimables de l’état d’esprit du Japon avant la tragédie de 39-45.
L’exposition n’est pas centrée que sur l’archipel. D’autres inspirations y sont présentées comme des couvertures d’un autre magazine photo, américain celui-là : les éditions mythique de LIFE sont affichées, dont cette couverture paradoxale montrant une femme en kimono en pleine tentative de strike.
Enfin, les habitués du tourisme à Tokyo auront fort à penser devant la place de la gare de Shibuya prise en 1948 par Takeyoshi Tanuma. 76 ans plus tard, la densité urbaine a été démultipliée et des gratte-ciel étincelants ont remplacé les échoppes aux façades délavées et à la tôle branlante. Rien que réfléchir au gouffre qui sépare ces deux époques donne le vertige.
Etrange pour une rétrospective, Jikan Ryoko contient très peu de clichés contemporains. Les férus d’histoire et d’histoire japonaise en particulier y trouveront leur compte par les pièces rares exposées, et après tout, le voyageur d’aujourd’hui a ses propres clichés modernes. Il ne faut pas hésiter si vous passez à Tokyo d’ici le 7 juillet.
Jikan Ryoko
Tokyo Photographic Art Museum
Yebisu Garden Place, 1-13-3 Mita Meguro-ku Tokyo
Du 4 avril au 7 juillet 2024