Portrait d’une calligraphe scientifique : Looka

Première exposition parisienne pour la calligraphe Looka qui mène en parallèle une carrière d’artiste et de biologiste. Entre engagement et politique, science et esthétique, cette tunisienne d’origine tente de transmettre du bout de son calame un message d’amour universel. 

Florence Gopikian Yérémian : Vous êtes biologiste de formation, qu’est-ce qui vous a mené sur les chemins de la calligraphie ? 

Looka-calligraphie-syma-news-gopikian-florence-yeremian-art-expoLooka : Ma passion pour la calligraphie est une conséquence de mon intérêt pour les dessins scientifiques. Dans mes publications et les cours que je donne, j’ai toujours intégré des dessins représentant les caractéristiques morphologiques des microorganismes en accordant une attention minutieuse aux détails. Cette précision, essentielle en biologie, est également requise en calligraphie.

De surcroit, je suis née à Tunis et lorsque je suis venue faire une thèse à Paris, une partie de ma culture me manquait. Je me suis alors tournée vers les arts. La calligraphie m’a offert une liberté d’expression complétant parfaitement ma rigueur de scientifique. Elle m’a permis de maintenir un équilibre entre logique, protocole et esthétique, tout en me reconnectant à mes racines.

Comment avez-vous appris à maitriser cet art complexe ?

J’ai suivi des cours hebdomadaires avec de grands maîtres pendant plusieurs années. Je me suis formée dans diverses techniques, notamment la calligraphie persane et le style diwani. Cela a nécessité un travail quotidien assidu, car les cours seuls ne suffisent pas pour progresser. Une fois les différents matériaux maîtrisés, je me suis appropriée d’autres styles de façon autodidacte.

Quelle est la particularité de votre travail calligraphique ? Y-a-t-il des règles dans cet art auxquelles vous dérogez ou vous conformez-vous à la tradition ?  

looka-calligraphieLa calligraphie traditionnelle est très importante comme base de départ. J’ai cependant toujours été fascinée par les calligraphes contemporains capables de créer des pièces uniques. Contrairement aux artistes qui se concentrent sur l’esthétique, je cherche à donner un sens supplémentaire à mes œuvres allant au-delà d’une identité visuelle. Mon style a également mûri lors de mes séjours au Japon, où j’ai remarqué que l’écriture japonaise se faisait de haut en bas, mais aussi de droite à gauche, comme en arabe. J’ai cherché à rendre hommage à ces deux modes d’écriture. J’utilise donc des lettres arabes écrites de haut en bas, inspirées par le japonais et des lettres de formes verticales que j’ai créées moi-même. Mes calligraphies se distinguent aussi par leur thème, souvent centré sur la poésie révolutionnaire arabe et soufie, ou sur des textes anciens portant un message noble pour l’humanité.

Le choix de vos couleurs et de vos formats va-t-il un sens précis ?  

tolerance-looka-calligraphie-syma-gopikianAbsolument. Les couleurs et les formes apportent toujours une signification additionnelle qui transcende les mots.

Par exemple, dans ma série de tableaux sur les maximes et devises, l’une de mes œuvres met en avant les mots “Tolérance”, “Amour fraternel” et “Coexistence”. Je les ai disposés de manière à indiquer que la tolérance conduit à l’amour fraternel, et qu’ensemble, ils mènent à une coexistence harmonieuse.

La couleur bleue pour “Tolérance” et la rouge pour “Amour fraternel” font référence à la France, mon deuxième pays. La couleur violette de “Coexistence” symbolise, quant à elle, l’union du bleu et du rouge.

Vous abordez souvent la thématique de l’amour qu’il soit divin ou universel. Est-ce pour vous la clef de tout comme le laisse sous-entendre votre œuvre « Je suis de la religion de l’amour car c’est ma religion et ma foi » ?

l'amour_est_ma_religionJ’explore, en effet, souvent l’idée de l’amour comme solution à tout. Le poème d’Ibn Al-Arabi que j’ai illustré montre que l’amour transcende les barrières religieuses et culturelles afin d’unir les gens dans une tolérance mutuelle. C’est ce pouvoir que je cherche à transmettre car je crois fermement que l’amour est la voie vers une coexistence harmonieuse. Dans ce tableau, j’utilise spécifiquement toutes les couleurs possibles pour symboliser la diversité des personnes fusionnant en un cercle qui représente le monde, unifiant ces diversités dans une cohésion universelle.

L’indépendance, la paix et la quête de liberté font aussi parties des valeurs que vous illustrez. Diriez-vous que votre art est engagé, voire militant ? Certaines de vos calligraphies n’hésitent pas à évoquer la rébellion et le soulèvement.

Ma calligraphie est effectivement engagée vers la révolution et la liberté, car ces valeurs me tiennent particulièrement à cœur. Je suis la fille d’un combattant qui a contribué à la bataille de l’évacuation de Bizerte, et j’appartiens à la génération qui a vécu la révolution en Tunisie. J’ai pu voir de première main à quel point cette révolution a apporté une brise de liberté, permettant au peuple de respirer.

À travers mes calligraphies, je veux toujours rappeler que créer un avenir meilleur est possible en disant non à toute situation d’oppression et d’injustice. J’espère ainsi inspirer et encourager les gens à se rebeller contre l’injustice, à défendre leurs droits et à croire en la possibilité de changement.

L’une de vos œuvres fait écho au texte « Retour à Haïfa » de Ghassan Kanafani. Une autre est un extrait du poème de Mahmoud Darwish « La Dame de la Terre Palestine ». Ces calligraphies sont-elles des témoignages de votre solidarité à l’égard de la cause palestinienne ?

palestine - lookaCes deux tableaux témoignent effectivement de ma solidarité infaillible envers la cause palestinienne. Plus de 35 000 personnes ont perdu la vie ces derniers mois dans la bande de Gaza, y compris des enfants et des femmes. Le bilan est tragique, les attaques s’intensifient à Rafah sans un vrai cessez-le-feu, et les survivants vivent un exode sans fin.

Pour moi, un artiste doit se connecter aux réalités de son époque. J’admire Darwish pour l’engagement dans sa poésie et Kanafani pour son combat pour la cause palestinienne. Ces grands hommes incarnent l’âme et la résilience de ce peuple, et c’est un honneur de rendre hommage à leur héritage à travers mon art.

Quel est votre lien avec le soufisme ? Il semble omniprésent au sein de votre création.

soufisme - looka - syma - gopikianLe soufisme est une grande source d’inspiration. Il éclaire mon chemin en tant qu’artiste mais aussi humainement car il prône l’amour universel, la tolérance, l’espoir et l’optimisme. Cela résonne en moi et influence ma vision de l’humanité. Les poésies soufies, avec leurs notions anciennes, semblent préfigurer de nombreux concepts de la psychologie moderne et du développement personnel. Elles offrent des leçons intemporelles sur la nature humaine et la quête de paix intérieure : ce sont des thèmes que j’intègre effectivement dans mes calligraphies.

Vous illustrez également des vers d’auteurs contemporains qu’ils soient tunisiens, algériens, égyptiens ou palestiniens. Est-ce une façon personnelle de faire tomber toutes les frontières et les guerres ?

Calligraphier des poèmes de différents pays, bien que variés dans leurs origines, révèle des sujets communs qui défendent la liberté, la tolérance et la paix. Ces valeurs universelles sont le point commun entre tous ces intellectuels et poètes qui ont le pouvoir d’unir les peuples et de détruire les divisions. Malgré nos différences culturelles et nationales, nous partageons tous des aspirations profondes et communes. Pour moi, cette destruction des frontières par ces poètes est essentielle, et j’ai voulu ajouter une touche personnelle à leur vision à travers mon travail calligraphique.

Une œuvre se distingue parmi vos créations : le tableau dédié à Ibn al-Farid. Quelle technique avez-vous employée ? Et pourquoi ce choix de tonalités sombres qui se détachent sur un fond d’or ? 

looka-calligraphyPour cette œuvre, j’ai utilisé un fond d’acrylique noire afin de représenter un monde sombre dans lequel baignent différents mots « amour » calligraphiés à l’encre japonaise. Ces mots essayent de trouver leur chemin au milieu de l’obscurité.

Au centre du tableau, j’ai écrit « Éclairez vos cœurs avec l’amour, car les cœurs s’illuminent lorsqu’ils aiment ». Pour ce faire, j’ai utilisé de la feuille d’or, afin d’apporter une lumière qui émerge de ces ténèbres.

Je me suis concentrée sur la première phrase du poème, sans approfondir la suite qui est pourtant magnifique : « Et dites à ceux que vous aimez une salutation, car la parole de l’amant à l’amant est une guérison. Les gens sont morts dans leur abandon, tandis que les gens de l’amour sont vivants dans leur amour ». Cette partie finale du poème est très belle, mais j’ai choisi de transmettre un message court et marquant, pour qu’il soit mémorisé. J’espérais que chaque personne qui regarde ce tableau laisse l’amour guider ses pas, en sachant qu’il illuminera son quotidien.

Avez-vous une prochaine exposition en vue ?

Je prépare effectivement une nouvelle exposition avec la participation de mes élèves car, à présent, j’enseigne aussi la calligraphie. L’accrochage aura lieu le 7 septembre à La Curiosité (Paris Ve). J’aurai également l’honneur et la joie de m’associer au projet du compositeur Helmi M’Hadhbi qui est un remarquable joueur de « oud ». Ce grand musicien souhaite projeter mes calligraphies numériques lors de son concert du 23 juillet à la Chapelle Saint Jean de Saumur.

Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

Looka-calligraphie-syma-news-gopikian-florence-yeremian-art-expoLooka

Exposition à La Curiosité (1, rue des Feuillantines – Paris Ve) : du 3 au 9 juin, puis à partir du 7 septembre 2024.

Exposition digitale au concert d’Helmi M’Hadhbi (Chapelle Saint Jean de Saumur) : le 23 juillet 2024

Pour plus d’infos : Looka.Graphy

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.