Le surtourisme au Japon fait la une partout. Que ce soit avéré ou pas, le mieux est encore la campagne nippone, largement ignorée par le tourisme de masse malgré ses charmes et sa richesse indéniables. Aizu Wakamatsu est un de ces lieux excentrés qui méritent le coup d’oeil.

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Pas de doute, la gare d’Aizu Wakamatsu met tout de suite dans l’ambiance. Toit japonisé, statue des héros locaux du Byakkotai (on y reviendra)… la cité se présente ouvertement comme ville historique. Le shinkansen ne nous amènera pas jusqu’ici : il faut changer à Koriyama et il n’y a qu’un train (petit et lent) par heure.

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Le premier arrêt pour tout fan d’histoire japonaise est la salle d’archive du Shinsengumi. L’établissement assure que le célèbre groupe armé, connu pour son rôle à Kyoto à partir de 1863, provient en réalité du domaine féodal d’Aizu. Il est très compliqué de recouper ce fait, mais certains éléments étayent cette thèse.

Aizu revendique le Shinsengumi

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Deux des membres les plus éminents du Shinsengumi reviennent à Aizu après la bataille perdue de Toba Fushimi : Toshizô Hijikata pour blessure et Hajime Saitô (ci-dessus) pour poursuivre le combat contre les forces de Meiji aux côtés du clan féodal d’Aizu en 1868. Le gouvernement Meiji écrase la féodalité et Saitô s’efface en changeant de nom. Il se fait appeler Gorô Fujita et s’installe à l’actuelle Aomori. On le retrouve plus tard engagé dans la police de Tokyo (assez ironiquement d’ailleurs, car le Shinsengumi avait des missions de police à Kyoto) comme cela est admirablement décrit dans Kenshin le Vagabond.

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La collection s’intéresse beaucoup aux fusils d’époque tels les mousquets et autres armes plus modernes. Le Japon produisant des mosquets en grand nombre depuis le XVIe siècle, le clan d’Aizu possède sa propre réserve (exemples ci-dessus).

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Le clan féodal de Sendai a aussi sa propre production. On voit ici nettement la signature du fabricant. Malheureusement pour ses soldats, ce type d’arme était totalement démodé au moment de la guerre de Boshin.

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La dernière figure intéressante de ces archives est Yae Niijima. Cas absolument exceptionnel dans l’histoire japonaise, cette femme a pris part à la défense d’Aizu, de surcroît armée d’un fusil Spencer d’origine américaine. Elle est tellement célèbre qu’elle a fait l’objet d’une série télévisée (dont on peut voir le visuel ci-dessus). Bien qu’effectivement ce mélange improbable semble tout droit sorti d’une série moderne, les sources historiques sont formelles (son père était instructeur de tir) et on lui donne parfois même le surnom de “Jeanne d’Arc du Bakumatsu”.

Un château qui vaut le détour

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Le château de Tsuruga, un des rares qui porte un nom différent de celui de sa ville, reste la principale attraction touristique d’Aizu. Il est construit en 1384 par Naomori Ashina, chef d’un clan qui sera détruit par Masamune Date en 1589. Date prend donc le contrôle du domaine, mais pour un an seulement. En effet, Toyotomi Hideyoshi prend alors le contrôle du pays et relocalise ses vassaux comme il l’entend. Le château connaît plusieurs locataires éphémères jusqu’en 1643, date à laquelle le clan Matsudaira, fondé par le petit-fils de Ieyasu Tokugawa, va en prendre le contrôle pour plus de deux siècles.

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Le Japon avait aussi ses chapeaux à plumes.

Le château-musée comporte des pièces fort intéressantes, en particulier une série de casques des seigneurs locaux. Celui ci-dessous est dit avoir appartenu à Yoshiaki Katô, leader de la région vers 1630.

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Chose rare, le dernier seigneur de Aizu a sa photo. Katamori Matsudaira aura vu la fin de féodalité à Aizu lorsque son clan est battu par les forces de Meiji en 1868. Epargné, il est nommé prêtre du temple Tôshôgu à Nikkô.

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Pendant la féodalité, Aizu est connue pour être une ville d’artisans. Ses objets en laque sont prisés, mais c’est surtout l’une des deux régions les plus célèbres pour la production de bougies. Les bougies d’Aizu se vendaient jusqu’à Edo, et c’était évidemment un commerce important en l’absence d’électricité.

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La bataille de Toba-Fushimi début 1868 marque le début de la fin pour le shogunat, qui perdra à partir de là toutes ses batailles et tous ses soutiens. Tous? Non. Les irréductibles Matsudaira entendent bien résister à l’Empereur Meiji jusqu’à leur dernier souffle. Au printemps 1868, les forces du domaine sont réorganisées en fonction de l’âge des soldats dans bataillons nommés d’après les bêtes mythologiques gardiennes des points cardinaux dans la Chine ancienne.

  • Genbu, la tortue noire du Nord pour les plus de 50 ans
  • Seiryu, la dragon bleu de l’Est pour les hommes de 36 à 49 ans
  • Suzaku, le phénix écarlate du Sud qui rassemble les 18 à 35 ans
  • Byakko, le tigre blanc de l’Ouest représenté par les jeunes de 16 et 17 ans

Le Byakkotai n’est donc pensé que comme une force d’appoint. Mais quand l’armée de Meiji presse le 22 août 1868, ces soldats inexpérimentés seront les premiers à voir le front. Mal équipés, et encore plus mal commandés, ils sont rapidement contraints à la fuite. Vaincus et donc déshonorés, ils se donnèrent la mort à Iimoriyama (prononcez “iimoriyama”). Un seul d’entre eux, Sadakichi Iinuma (là encore, “iinuma”), rate son suicide et est sauvé par des habitants. Il deviendra plus tard télégraphiste dans l’armée.

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Les guerres n’ont aucune pitié pour les monuments.

La bataille se finit un mois plus tard à l’issue d’un pilonnage impitoyable du château. Les canons pouvaient tirer 2500 fois par jour et laissent un bâtiment défiguré par d’énormes trous. Le donjon est démoli en 1874.

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Après-guerre et comme dans tout le pays, les voix (et les dons) en faveur de la reconstruction se font de plus en plus nombreuses. Le château de Tsuruga est reconstruit à l’identique en 1965.

Thomas Froehlicher est chroniqueur Japon & Gaming. Rédacteur pour plusieurs sites spécialisés dans le jeu vidéo, il intervient sur l'actualité vidéo-ludique depuis trois ans. Sa passion pour la culture japonaise, aussi bien classique que moderne, l'a poussé à en étudier la langue en parallèle de sa majeure en finance, puis à effectuer un semestre d'échange universitaire à Sophia University à Tokyo. Il est titulaire du Japanese Language Proficiency Test niveau 1 depuis 2012, et depuis ne jure que par les versions originales en japonais.