Xiao Guo Hui, un héritier de la peinture européenne
Parmi les artistes les plus intéressants de l’Asian Art Fair 2024 se distingue le peintre Xiao Guo Hui. Déjà remarqué par SYMA News lors des précédentes éditions d’Art Paris (voir nos articles), cet artiste chinois conçoit des œuvres à la détrempe dont la technicité, la « maniera » et l’iconographie s’inspirent brillamment du patrimoine pictural européen.
Un maitre contemporain de la tempera
À l’époque byzantine et durant moyen-âge, la technique de la tempera (peinture à base d’œuf) était l’une des plus répandues grâce à sa finesse et sa résistance. Elle est cependant tombée en désuétude depuis la fin de la Renaissance avec l’arrivée de la peinture à l’huile. Attiré par la délicate matité et certainement par la durabilité de la tempera, Xiao Guo Hui est devenu l’un des rares maitres contemporains à pratiquer ce medium avec autant de dextérité.
Né à Guangzhou où il a fait l’Académie des Beaux-Arts, Xiao Guo Hui a séjourné au Canada avant de venir s’installer en France. Depuis une dizaine d’années, il a élu domicile à Fontainebleau avec Chen Wen Qing qui partage sa vie conjugale mais aussi sa passion : l’épouse de Xiao Guo Hui est, en effet, peintre professionnelle et nous avons également eu le plaisir de découvrir son univers très organique durant l’Asian Fair 2024.
Des tableaux énigmatiques
Lorsque l’on regarde une œuvre de Xiao Guo Hui, on est systématiquement happé par son aspect anecdotique. Qu’il s’agisse de grands polyptyques ou de petites toiles, toutes ses compositions possèdent une qualité narrative et un sens du détail qui invitent le spectateur à de multiples cogitations.
À l’exemple des toiles énigmatiques de Hieronymus Bosch ou de Bruegel, Xiao Guo Hui ponctue ses tableaux d’indices iconographiques et de scènes grouillant de personnages totalement dénués d’émotions : les corps voûtés, les membres ballants et les yeux éteints, ces êtres aux carnations fantomatiques nous donnent l’impression d’évoluer dans un univers mutique et souvent cruel.
L’audition
L’une des œuvres exposées à l’Asian Art Fair Paris met en parallèle deux scènes d’auditions critiquant les abus de pouvoir : sur la première, on distingue clairement le profil d’un homme mal intentionné qui a posé ses ailes d’ange au sol afin de pouvoir abuser à huis clos d’une jeune actrice.
Le second panneau est, quant à lui, plus complexe dans sa lecture car il prend place dans une pièce adjacente mais réactualise le mythe de Diane chasseresse et d’Actéon sous le regard inquisiteur d’une cameraman. Cette thématique issue des Métamorphoses d’Ovide nous rappelle à quel point Xiao Guo Hui est imprégné de culture occidentale en dépit de ses origines asiatiques. Non seulement, cet artiste aime travailler a tempera mais en plus, il se délecte à décliner des sujets propres aux récits hagiographiques et à la mythologie gréco-romaine.
Les Martyrs de la beauté
Sur un triptyque que Xiao Guo Hui a conçu en 2024 (The Martyrs of Beauty), l’un des personnages fait ainsi clairement référence au martyre de Sainte Agathe portant sa poitrine sur un plateau. Cette nouvelle composition conjuguée sur trois panneaux est exceptionnelle car elle invite de nouveau le public à toutes sortes d’interprétations.
Au premier regard, on peut songer à une scène de chirurgie esthétique où une figure centrale enveloppée de bandelettes serait entourée d’un anesthésiste tenant une seringue et d’une infirmière récupérant les petits seins de la patiente qui a souhaité se faire une poitrine plus « calibrée ».
Lorsque l’on approfondit l’analyse de ce tableau, on peut aussi se demander si chacun des protagonistes ne représente pas individuellement des cas de chirurgie dont certains mettraient en avant non plus l’esthétique mais la question du genre.
Il en va ainsi du personnage de gauche au visage masculin dont le corps viril a été affublé d’une poitrine féminine.
Dans la lignée de ses questionnements sociétaux, Xiao Guo Hui nous montre ici que le diktat esthétique est devenu si obsessionnel de nos jours que le fait de changer de corps, d’apparence ou de sexe apparait pratiquement comme une nécessité !
Mais, à trop vouloir se prendre pour le Grand Créateur, l’homme ne va-t-il pas finir par se détruire ?
Une peinture allégorique
Année après année, les œuvres de Xiao Guo Hui continuent à pointer du doigt les vices humains ou à critiquer de façon sous-jacente les perversions de notre société.
Qu’il s’agisse de dérives sexuelles, d’ivrognerie, de violence gratuite ou d’hypocrisie ecclésiastique, il est étonnant de voir à quel point son pinceau lucide mais délicat parvient à teinter d’une certaine grâce la laideur de l’âme humaine.
Il faut dire que sa technique picturale est si maitrisée et qu’elle fait référence à tant de grands peintres que notre esprit se sent immédiatement en terrain connu : entre une élégante posture de Vénus Botticellienne, une carnation blanchâtre propre aux figures osseuses de Cranach et une scénographie digne des dessins libidineux de Balthus ou de Bellmer, Xiao Guo Hui se positionne sans aucune hésitation comme l’un des héritiers les plus talentueux de la peinture européenne.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Asian Now – Art Fair 2024
Hôtel de la Monnaie de Paris
Du 17 au 20 octobre 2024
Si vous souhaitez découvrir les œuvres de Xiao Guo Hui : RDV sur le site de la Galerie Fabian Lang (Obere Zaüne 12 – 8001 Zurich – Suisse)
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