Venez écouter la complainte de Ménélas
Deux musiciens s’installent à la table d’une taverne. Ils trinquent. Allument une cigarette. Puis se regardent sans parler. Dans cette communion silencieuse raisonne soudain le son métallique d’un bouzouki auquel répondent les cordes chaudes d’une guitare : les premières notes du récit sont données. S’élèvent alors des chants antiques venus colporter du fond des temps la triste histoire de Ménélas.
Le voici d’ailleurs qui entre dans la salle, bilieux, pensif et funestement vêtu. L’âme endeuillée depuis que sa belle Hélène l’a abandonné pour un Troyen, Ménélas erre et se lamente.
Ce soir, dans cette morne taverne des bas-fonds, il va enfin pouvoir ouvrir son cœur et se confier. Déchiré entre sa haine et son amour, le Roi de Sparte va déverser son fiel envers sa femme infidèle, accuser l’Olympe de sa disgrâce et fomenter sa vengeance contre Parîs, le séducteur.
Le mythe d’Hélène et Ménélas réactualisé
Écrit par Simon Abkarian, cet intense monologue donne la parole au roi Ménélas, fils d’Atrée et mari d’Hélène. Construit comme une confession, ce texte passe de la plus sombre rancœur à l’ultime dévotion et dresse un portrait inattendu de ce couple maudit pour lequel s’est soulevée toute l’armée des Grecs.
L’analyse de Simon Abkarian est étonnante et contemporaine car elle casse les archétypes et nous offre un regard audacieux sur des personnages mythologiques que l’on croyait connaître : Ménélas n’apparait plus comme un souverain lâche et effacé. C’est un homme en souffrance, noble et sensible, dont la pudeur empêche de confier son chagrin aux Dieux ou même à son propre frère, le grand Agamemnon. Abandonné par sa sublime coryphée, Ménélas ne cesse de scander le nom d’« Elle-Haine », menace sa traitresse, se questionne sur la cause de son départ et tergiverse avec lui-même.
Dans ce soliloque réactualisé, Hélène n’a plus, de son côté, le rôle réducteur de l’épouse soumise ou de la catin enlevée par Pâris. Grâce à la plume affranchie de Simon Abkarian, elle devient une femme libre et volontaire qui, lassée par la monotonie conjugale, choisit de partir de son propre gré avec son nouvel amant.
Simon, le rébétis
C’est à l’auteur que revient l’interprétation de son propre texte : lorsqu’il incarne Ménélas sur l’immense scène du Théâtre de l’Épée de Bois, Simon Abkarian prend des allures de rébétis. Bandit au grand cœur ou vagabond danseur, il a le charme austère et le pas viril mais il n’hésite pas à révéler sa part de féminité en montrant les fêlures de son protagoniste. Du bout de son éventail et de sa voix ondulante, Simon-Ménélas sait charmer son public qui boit ses acerbes logorrhées sans le quitter du regard. La posture fière, le pied autoritaire et le chapeau mou, il nous livre avec dextérité la parade nuptiale d’un élégant échassier qui cherche une dernière fois à séduire sa femelle.
Tandis que ses diatribes et son ombre dansante se projettent sur les murs, les amis musiciens de Simon Abkarian l’accompagnent: de son bouzouki abrupt et nerveux, Grigoris Vasilas, rythme les paroles itératives du Roi de Sparte tandis que la guitare de Kostas Tsekouras les tempère.
Parfois brutal, parfois moqueur, le cri scabreux ou élogieux, ce rébétiko théâtral nous transporte au sein d’une tragédie grecque où les déesses côtoient les putains mais où la femme demeure respectée de tous. Merci Simon.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
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Ménélas Rébétiko Rapsodie
Une pièce écrite et interprétée par Simon Abkarian et la Compagnie des 5 roues
Avec Grigoris Vasilas au bouzouki et Kostas Tsekouras à la guitare
La pièce Ménélas Rébétiko Rapsodie est présentée au Théâtre de l’Épée de Bois dans le cadre du Festival Une Odyssée en Asie Mineure. En deuxième partie, Simon Abkarian propose une seconde oeuvre “Hélène après la chute” interprétée par Brontis Jodorowski et Aurore Frémont (Électre des Bas-Fonds)
Jusqu’au 3 novembre 2024
Du mercredi au vendredi à 19h
Samedi (18h) et dimanche (14h30) : soirées musicales et festives après les pièces.
Nos précédents articles concernant Simon Abkarian :