Les exaltations silencieuses de Guillaume Toumanian
La nouvelle exposition de Guillaume Toumanian est un cheminement silencieux dans la captation de Dame Nature. À la fois poétique et exalté, cet artiste d’origine arménienne propose une lecture sensible du monde dont il décline à merveille les éléments. Armé de patience et de talent, il construit ses toiles à travers un geste pictural où se reflètent minutieusement ses réflexions techniques mais aussi spirituelles sur la matière, la lumière et le mouvement. En digne héritier de Turner et d’Aïvazovski, son art puissant et vaporeux parvient à transporter les spectateurs à la lisière du réel et l’abstraction.
Une dualité fusionnelle entre l’ombre et la lumière
Si vous passez devant la galerie Lazarew dans le Marais, votre regard ne peut qu’être happé par l’immense toile mordorée de Guillaume Toumanian. Déclinée dans des teintes bleu-topaze et jaune moiré, elle irradie les murs et vous plonge au cœur d’un paysage hors du temps. À mi-chemin entre une pluie Zeusienne et un trésor scythe, cette superbe composition aux reflets d’or possède une résonance antique qui transporte vos esprits en des lieux mythiques. Tout vibre et scintille dans cette création, qu’il s’agisse de l’eau saupoudrée d’orpiment ou du soleil que l’on sent poindre à travers des nuages emprunts de souffre. Cette incandescence quasi sacrale semble pourtant camoufler un secret, une entité fantomatique dissimulée dans le lointain ou une inquiétante naïade tapie sous la surface aqueuse. Entre ombre et lumière, entre rêve et réalité, c’est là que réside l’art de Guillaume Toumanian.
Cette mystérieuse dualité, tant chromatique qu’émotionnelle, est présente dans l’ensemble de ses paysages à l’exemple de ses compositions nocturnes qu’il décline avec dextérité dans des sonorités bleues : passant de l’azur au bleu cobalt, Guillaume Toumanian fait se confondre ciel et mer dans une fusion intense des éléments. Qu’il s’agisse d’un océan par temps gris ou d’obscures vagues saisies en haute mer, il parvient à créer un étonnant équilibre grâce à sa maitrise picturale : l’harmonie des couleurs, celle des masses qui se confondent, la fluidité du geste, la superposition des glacis… tout s’accorde et se mêle pour donner naissance à une nature informelle qui respire le mouvement.
Capter la lumière
Guillaume Toumanian ne tente pas d’imiter Dame Nature, il la dépasse, se l’approprie, la transforme et la sublime à travers son flux d’émotions. Dans un mélange d’exaltation et d’humilité, il tente de lui insuffler sa sensibilité intrinsèque et la revêt d’un habit clair-obscur fait de souvenirs et de fantaisies.
Son attrait envers les éléments – pour ne pas dire son émerveillement – est une évidence : cet artiste sent les embruns de la mer, capte les nuances de l’air et aime à se laisser envahir par la lumière céleste, pour ne pas dire divine.
Cet intérêt envers Hélios et ses filles rayonnantes fusent dans chacune de ses toiles : entre un arbre défiant des lueurs crépusculaires, une pleine lune qui infuse le ciel de chartreuse et une clairière tachetée d’halos safranés, on perçoit la quête de l‘artiste pour traduire l’onde immatérielle ou le faisceau miroitant aptes à révéler les contours d’un lac ou d’un sombre bosquet.
Il en va ainsi de sa composition Illusion II où de fins troncs se reflètent et s’étirent dans des eaux couleur cognac dont on hume presque les effluves : de prime abord, tout semble abstrait et confus puis, petit à petit, grâce à la lumière qui trace un chemin, nos yeux redessinent les branches et les feuillages s’enfonçant dans les flots. En laissant notre regard s’attarder, l’on finit même par ressentir la chaleur tiède de ce soleil couchant…
Un univers féérique
A l’exemple des photos de Jean-François Spricigo, il y a quelque chose de magique dans les paysages de Guillaume Toumanian : en contemplant minutieusement ses images mutiques, des visions féériques prennent forme sur la toile qui laissent apparaitre des lucioles ou des feux follets perdues dans les bois. Quand nos pupilles s’enfoncent dans le cœur du tableau, elles ne savent plus où s’arrêter car il n’y a pas de ligne d’horizon dans les œuvres de Guillaume. Il n’y a d’ailleurs pas de ligne du tout : dans ses compositions atmosphériques, les contours sont dissous et les traits sont fondus, seule compte la matière incandescente et pourtant dynamique qui se meut, oscille et trouble nos esprits afin de les entrainer dans des forêts profondes.
Vous l’avez deviné, par le biais de ses pinceaux, couteaux et autres ustensiles, cet artiste prophète tente d’extraire l’essence des éléments, de capter l’énigme sous-jacente qui nourrit la nature et de nous la transmettre. Guillaume Toumanian ne cherche pas à imiter le réel car le mimétisme académique ne l’intéresse pas. Il ne cherche pas non plus à séduire le spectateur : dépassant toutes notions narcissiques, son travail tient plus de la proposition métaphysique. A travers le souffle, la lumière et les accords chromatiques de ses œuvres, il invite chacun à une vibration spirituelle. En fonction d’une représentation diurne ou nocturne, vous pouvez opter pour une élévation des sens ou un moment de méditation. Quel que soit votre choix, même une simple contemplation, vous serez séduit.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Guillaume Toumanian : intériorité
Galerie Lazarew
14, rue du Perche
75003 Paris
Jusqu’au 19 avril 2025
Catalogue
Editions Lord Byron – 2025